LA BÊTE, UN CONTE MODERNE DE YASMINA BENABDERRAHMANE



CO-ÉDITÉ PAR MACK BOOKS ET LE BAL, LA BÊTE, UN CONTE MODERNE DE YASMINA BENABDERRAHMANE  EST LE PREMIER LIVRE PUBLIÉ PAR LA JEUNE ARTISTE FRANÇAISE.

Cet ouvrage, composé uniquement de photogrammes issus de son travail filmique, en noir et blanc et en couleur, plonge le lecteur au cœur du projet réalisé par Yasmina Benabderrahmane au Maroc entre 2012 et 2019. Entre métaphore et fragments bruts, surgissent au fil des pages les différents protagonistes de ce conte visuel : l’Oncle, la Grand-Mère et la Bête. De ces espaces et de ces corps familiers, où se joue l’histoire contrariée du Maroc contemporain, Yasmina Benabderrahmane cherche à s’approcher du détail et des matières, des mains qui façonnent et reproduisent, au fil des âges, les mêmes gestes.

Des textes d’Adrien Genoudet viennent dialoguer avec les images, ajoutant une voix supplémentaire à ce conte polyphonique. Un entretien de l’artiste, réalisé par Adrien Genoudet, complète le livre.

Cette co-publication est disponible en ligne : LE BAL et MACK BOOKS.
PhotoBookStore.co.uk



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 Le fil ténu de la lame Adrien Genoudet





I.

« La vallée de l’émerveillement et de la stupéfaction.

C’est un lieu d’obsédante douleur et d’effarement constant. On n’ose pas regarder. On n’ose pas respirer. Des douleurs vous transpercent comme des épées.

Et lorsque les oiseaux arrivèrent à cette vallée, elle disparut, les laissant confus, désemparés et inquiets. Ils attendaient et réfléchissaient : « Nous avons volé trop loin, nous ne pourrons pas revenir en arrière ! ».

« Allons, oiseaux ! Revenir en arrière n’a pas de sens. Nous volons en cercle comme le phénix. Il vit plus de mille ans devenant chaque jour plus sage, et quand vient l’heure de son départ, il se couvre de feuilles, déploie ses ailes et s’enflamme. Alors, un nouveau phénix naît de ses cendres. Amis, allons de l’avant ! ».

La Conférence des Oiseaux, conte soufi de Farid Al-Din Attar, 1177. ⌈…⌋





VII.


Le sang des bêtes sacrifiées coulent encore, aujourd’hui, dans la vallée de Bouregreg. Il gorge les terres, nourrit le sable et les plantes sèches, il se mêle à l’ocre des poussières puis dévale les sous-sols, les cavités, les nappes libres et captives où l’eau stagne, attend l’épuisement, et vient nourrir les roseaux qui parlent.

Quand on lève les yeux, les chemins s'épandent comme des veines et donnent le sentiment que le sang vif, jailli du col des bêtes, lie les terres et les histoires.

Un jour de printemps, paraît-il, la Bête s’est arrêtée, épuisée, mille-pattes retournée sans secours, ventre luisant immobile. Les mains des hommes ne suffisaient plus à lui donner corps, à retourner la terre, à changer les apparences des paysages, à la faire émerger, elle, la Bête, monstre de fer et de bêton, incarnation vigoureuse du temps à venir, de la modernité gonflée du Royaume. Alors, le Roi a décidé de conjurer le sort, de faire couler le sang des bêtes, de gorger la terre à son tour et de retrouver les racines pourpres de la tradition. Ce jour-là, on a sacrifié des veaux et déclamé le coran.

Et, ce jour-là, la Bête s’est ranimée, pour ne jamais se rendormir.

Le long du sol, là où la Bête a planté ses racines, on peut suivre la ridelle timide du sang vermeille des veaux et voir le coup d’arrêt, tranchant, ténu, d’un pan brumeux de bêton. Cette fois-ci, le sang ne rejoindra pas la vallée ni les sous-sols, ni le village de la Grand-mère, il restera coi, sans avenir, sans profondeur, et il finira par cailler au soleil. ⌈…⌋















































































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