(FR)
Exposition “De chair et de pierre” à l’ADAGP.


À travers-trous

Au premier coup d’œil, en entrant, en avançant pas à pas dans cette nouvelle exposition de Yasmina Benabderrahmane, on pourrait croire que nous sommes face à un monde fixe, immuable presque votif où se confondent le temps long des pierres et la fragilité de la chair. Mais la réalité photographiée ou filmée par l’artiste doit autant se voir en suivant l’œil qui capte qu’à travers le trou – lorgnette, œilleton, serrure ou fente offerte – dans lequel, invariablement, on tombe, chute, glisse, pour y rencontrer un monde réversible, ourlé comme la peau de la bête que l’on dépèce. Sous la surface du gouffre, en déchirant le voile, sous l’épaisseur-croûte de la terre, du bitume ou de la peau, c’est tout l’univers sensible, humide, qui vit ici, visqueux encore. Ce que l’artiste capte-là, ce qu’elle saisit au vif, c’est bien l’écho désordonné du sensible qui fait d’un amas de pierre une forme vivante, inégalée, sortie du monolithe de l’ordinaire ; ou qui transmue, déforme, difracte la peau morte d’une bête sacrifiée de l’Aïd en un vent contraire : la beauté gisante, universelle, d’un linge tendu au soleil. De cet ordinaire, brûlant parce que gobé d’une traite par le regard-corps, affamé, de l’artiste, on voit s’étendre – comme le voile soulevé, ou comme la longue tapisserie qui structure nos histoires – le désir saccadé, par à-coups, d’une rencontre avec le Maroc, son pays d’origine, source des matières glaises. Par le détail, par la saisine de ce qui passe et renverse le cœur, Yasmina Benabderrahmane cherche à déterrer, sous la terre, à travers-trous et à ras de la peau, la structure épaisse des sens de l’enfance où les matières vibrent, où les mains malaxent, où les odeurs règnent et où l’on ne cesse de mettre en bouche pour mieux goûter l’environnement qui nous entour e ; pour l’absorber et modeler notre chair, notre monde intérieur.

Adrien Genoudet, 2020.


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(ENG)
Exhibition "Of flesh and stone" at the ADAGP.


At through-holes

At first glance, upon entering, advancing step by step in this new exhibition of Yasmina Benabderrahmane, one might think that we are facing a fixed world, immutable, almost votive, where the long time of the stones and the fragility of the flesh. But the reality photographed or filmed by the artist must be seen as much by following the catching eye as through the hole - telescope, eyecup, lock or slot offered - in which, invariably, one falls, falls, slides, to meet a reversible world, hemmed like the skin of the animal being cut up. Under the surface of the abyss, tearing the veil, under the crust of the earth, bitumen or skin, that's all the sensitive, humid universe that lives here, still viscous. What the artist captures it, what it captures live, it is indeed the disordered echo of the sensitive which turns a heap of stone into a living, unequaled form, emerging from the monolith of the ordinary; or which transmutes, deforms, difracts the dead skin of a sacrificed beast of Eid in a headwind: the recumbent beauty, universal, with a towel stretched out in the sun. Of this ordinary, burning because swallowed in one go through the starving body gaze of the artist, we see it stretching out - like the veil raised, or like the long tapestry that structures our stories - the jerky, sudden desire for an encounter with Morocco, its country of origin, source of clay materials. By the detail, by the referral of what passes and overthrows the heart, Yasmina Benabderrahmane seeks to unearth, underground, through-holes and flush with the skin, the thick structure of sense of childhood where materials vibrate, where hands knead, where smells reign and where we never stop to put in the mouth to better taste the environment who surrounds use; to absorb and shape our flesh, our world interior.

Adrien Genoudet, 2020.



















































 Yasmina Benabderrahmane © Adagp, Paris, 2024